Freins et leviers à la réhabilitation des friches en Wallonie
Lettre de la CPDT n°62

Le paysage économique wallon a considérablement changé au cours des cinquante dernières années. De nombreuses activités se sont arrêtées ou ont été délocalisées, laissant un nombre important de terrains et de bâtiments à l’abandon ou sous-utilisés. Malgré une politique de réhabilitation volontariste, les friches restent nombreuses, ce qui soulève des questions quant aux facteurs influant sur la réaffectation de ces espaces.

Un article paru dans la Lettre de la CPDT n°62

 

Par le passé, de nombreux sites ont été urbanisés afin d’accueillir des activités qui, aujourd’hui, ont perdu leur raison d’être ou ont été transférées vers de nouvelles implantations. Ces sites nécessitent une réflexion sur leur devenir et sur leur meilleure réaffectation possible dans l’espace et le temps.

La réhabilitation des friches fait sens avec les orientations politiques de la Wallonie qui s’est fixée comme objectif d’encourager la gestion parcimonieuse des sols et la reconstruction de la « ville sur la ville » en s’appuyant sur le concept d’ « optimisation spatiale » qui vise à une utilisation plus efficiente du sol. Les friches représentent un gisement foncier essentiel pour atteindre les objectifs fixés par le gouvernement wallon et sont la clé d’une transition plus globale qu’il convient de saisir. Ces réflexions doivent cependant s’appuyer sur une connaissance tant des sites désaffectés que de leur potentiel de recomposition territoriale.

Au 1er janvier 2020, la Wallonie comptait 2 287 sites (représentant 3 809 hectares) répertoriés dans l’inventaire des SAR de fait¹  réalisé par la Région. Ils sont majoritairement localisés le long du sillon Sambre-et-Meuse mais l’ensemble des communes est concerné par le phénomène. La province la plus touchée en termes de superficie est la province de Hainaut avec 1 825 ha. C’est aussi celle qui comprend le plus grand nombre de sites (863). La province de Liège est également caractérisée par un grand nombre de sites (695) mais la superficie totale absolue est bien moins grande (786 ha). A contrario, les provinces du Brabant wallon, de Namur et de Luxembourg sont caractérisées par des sites moins nombreux (entre 100 et 300) et généralement de plus petite taille (IWEPS, Sites à réaménager, 2021).

 

Freins et leviers

La CPDT a examiné les processus de réhabilitation de friches en Wallonie afin de comprendre, d’une part, les principaux freins tels que la complexité des procédures, les contraintes techniques, la faisabilité économique ou encore, l’acceptabilité des projets et, d’autre part, les facteurs favorables à leur mise en œuvre.

Pour établir ces constats, l’équipe de recherche a dressé une revue de la littérature existante et a mené des entretiens avec des acteurs clés actifs dans des projets de réaménagement de friches : des intercommunales de développement économiques, différentes directions du service public de Wallonie, la SPAQUE², l’union des villes et communes de Wallonie ou encore des acteurs privés.

L’analyse de la littérature et des résultats issus des entretiens ont fait émerger des freins et leviers qui ont été regroupés en cinq thématiques majeures des processus de réhabilitation.

Les premiers résultats obtenus par la recherche « Réhabilitation des friches » sont compilés au sein d’une pré-liste consultable en annexe du rapport final de 2022 disponible sur le site de la CPDT³.

 

Cinq thématiques avec leurs freins et moteurs à considérer dans le processus de réhabilitation d’une friche

Le foncier

Cette première composante s’intéresse à la question de la maîtrise foncière du site, de son attractivité territoriale et de sa localisation.

Un élément central est l’importance de la maîtrise foncière. Différentes modalités d’acquisition publique existent dont l’acquisition à l’amiable qui est à privilégier. Cependant, dans de nombreuses situations, l’accès au foncier est complexe et il n’est pas rare d’être confronté à des comportements allant de la rétention à la spéculation de la part des propriétaires. Certains terrains peuvent également être fortement morcelés et/ou détenus par plusieurs propriétaires, dans certains cas en indivision, compliquant davantage la procédure d’acquisition. Le recours à la préemption et/ou à l’expropriation doit être appréhendé avec beaucoup de discernement en raison de l’incertitude juridique, de la longueur des procédures et du montant des indemnités à verser aux propriétaires rendant l’équilibre économique de la reconversion complexe.

En ce qui concerne le coût d’acquisition du terrain, plusieurs pistes sont envisageables en lieu et place de l’achat immédiat. L’achat conditionné à l’obtention de permis, la renonciation au droit d’accession (RDA), le droit de superficie et d’emphytéose ou bien encore le portage de terrain par un organisme tiers sont autant de pistes d’action à envisager. Ces mécanismes sont analysés actuellement dans le cadre du benchmark « bonnes pratiques ».

Un autre élément mis en évidence est l’incidence de facteurs tels que la dynamique immobilière mais également le choix de l’affectation (économique, industrielle, résidentielle, etc.) sur la rentabilité d’une opération de réhabilitation. En effet, l’attractivité d’un site est impactée par la valeur foncière pouvant être tirée d’une opération. Celle-ci varie en fonction de l’affectation future et conditionne aussi le niveau d’un éventuel assainissement. Cette dynamique suscite ainsi une concurrence entre usages « forts » et « usages faibles  » sur un même site et peut parfois s’avérer un obstacle à l’affectation la plus judicieuse, qui n’est peut-être pas toujours la plus rentable.

Rappelons-ici que la rentabilité économique d’une opération dépend du projet autorisé, et ce en incluant le coût de la gestion des pollutions. Il est donc tout à fait possible que la valeur de vente d’un terrain soit nulle ou même négative si le projet autorisé génère peu de revenus et/ou si les coûts d’assainissement sont trop élevés. Dans tous les cas, disposer d’un diagnostic des friches précis (situation du terrain, dégradation du bâti, propriétés du sol, biodiversité, niveau de pollution) et d’une connaissance des dynamiques économiques et sociodémographiques du territoire permet de mieux appréhender les enjeux en la matière. Ces connaissances qui seraient favorisées par la possible mise en place d’un observatoire du foncier seront primordiales pour une utilisation plus efficiente du sol dans une optique d’optimisation spatiale.

Enfin, quelle que soit la stratégie foncière choisie, la gestion des temporalités est un point primordial. L’urbanisme transitoire et les occupations temporaires constituent une opportunité pour gérer les temps longs de la régénération et les nuisances associées, créer une image positive des friches en proposant une réponse aux besoins locaux et le cas échéant tester les affectations potentielles d’un site.

 

L’assainissement

Cette composante étudie la question de l’assainissement des sols et en particulier des procédures wallonnes qui y sont associées.

Au regard des statistiques disponibles en Wallonie, on peut penser que seule une petite proportion des sites repris à l’inventaire des SAR « de fait » est concernée par des risques de pollution et que la notion de SAR n’est pas automatiquement synonyme de site pollué. Néanmoins, plusieurs acteurs ont insisté sur le fait que les friches peuvent présenter des remblais de mauvaise qualité physico-chimique ou des complications liées au sous-sol, tels que des risques géotechniques et des substructures, entrainant une faible prévisibilité des coûts d’assainissement. À ce titre, il est opportun d’étudier cet aspect dès le début du projet, de planifier les éventuels travaux d’assainissement et ainsi éviter d’éventuelles (mauvaises) surprises. Rappelons ici que certaines parties de friche peuvent tout de même présenter des caractéristiques pédologiques intéressantes à préserver, notamment en matière de résilience des territoires face au changement climatique.

Un autre aspect mentionné par nos interlocuteurs est la mauvaise gestion des terres excavées. Dans de nombreux cas, celles-ci sont envoyées de façon inopportune en sites récepteurs de type IV (récréatif et commercial) et V (industriel et voirie) faute d’avoir fait l’objet d’une différentiation plus fine, or il existe un manque d’exutoires, tant au niveau des sites récepteurs qu’au niveau des installations autorisées en Wallonie. Il est donc recommandé de bien caractériser les lots de terres selon la typologie en vigueur et d’envisager la réutilisation des terres excavées, soit sur le site d’origine si elles sont issues d’un site de nature non suspecte, soit en les valorisant dans une zone d’usage de même type ou d’usage moins sensible (une telle réutilisation permet d’éviter l’application de l’AGW Terres et les obligations de contrôler et de valoriser les terres sur un site récepteur adéquat).

 

L’aménagement

Cette composante détaille la procédure spécifique aux sites à réaménager et expose certains outils urbanistiques utilisés pour la réhabilitation de friches.

Différents outils d’aménagement à l’échelle locale peuvent être mobilisés le cas échéant dans le cadre de la réhabilitation de friches : outils plus stratégiques tels que le SOL ou plus opérationnels tels que les SAR, mais aussi la rénovation ou la revitalisation urbaine, le périmètre de remembrement urbain, etc. Les interviews menées montrent l’importance accordée à la durée des procédures qui sont souvent considérées par les opérateurs comme trop longues (SAR, SOL, etc.). Des analyses comparatives pourraient aider à objectiver ce qu’il en est réellement. Si le dossier SAR inclut les projets et travaux d’aménagement, recourir à un autre outil plus stratégique en complément est vu comme inutile par plusieurs acteurs interviewés. La procédure périmètre SAR – permis prévue par le CoDT semble prometteuse en termes de gain de temps, particulièrement du point de vue des acteurs privés, mais n’est pas une possibilité réellement offerte en pratique, ce qui est déploré. Un important avantage des SAR comme des PRU (Périmètre de Remembrement Urbain) sur le plan de l’efficacité est la possibilité d’accorder dans ces périmètres un permis dérogeant au plan de secteur. Certains outils sont plus spécifiquement adaptés à des affectations en logement comme la rénovation ou la revitalisation urbaines, d’autres orientés vers les activités économiques comme les possibilités de subventions renforcées pour les zones d’activités économiques créées sur un SAR.

 

Les interactions entre parties prenantes

Cette composante rappelle le rôle des différents acteurs de la réhabilitation et s’intéresse aux interactions entre ces derniers.  Elle propose en guise de levier de nouvelles configurations d’action entre ces acteurs.

Le cloisonnement entre procédures est fréquemment déploré par les acteurs interviewés. Mener la réflexion sur l’assainissement des sols, la réaffectation et le réaménagement du site en parallèle permet un gain temporel et financier en adaptant le projet aux caractéristiques du site. Face à une approche sectorielle, il est judicieux de favoriser dès le départ une collaboration active entre acteurs des différents secteurs, centrée sur un projet global de réhabilitation-réaffectation d’un site. En effet, si de prime abord il semble logique d’adopter une perspective chronologique (acquisition-assainissement et, le cas échéant, -réaménagement), dans les faits, ces différentes phases s’interpénètrent et s’influencent mutuellement, rendant complexe le processus d’intervention sur un site, et montrant l’intérêt d’un pilotage unique et d’une fonction de chef de projet. À ce titre, le mécanisme du « brownfield covenant », utilisé en Flandre, semble une piste à investiguer. Il est également intéressant d’avoir connaissance de sites bien localisés même sans qu’un projet soit immédiatement prévu dans la foulée, afin de contribuer à la constitution d’un stock de terrains disponibles sur des terrains artificialisés.

 

Le financement

Cette composante est par nature plus transversale. Les différentes modalités de financement ont été explicitées, en prêtant une attention particulière aux enveloppes budgétaires publiques (européennes, régionales) mobilisables pour l’assainissement ou la réhabilitation des sites.

Les financements wallons mobilisables pour acquérir les terrains, les réaménager et concrétiser les projets sont principalement orientés en pratique vers les acteurs publics, qu’il s’agisse des subventions ordinaires aux personnes morales de droit public pour l’acquisition du site et les actes et travaux de réaménagement dans un périmètre SAR, ou des financements alternatifs.

Le CoDT prévoit également des dispositifs de financement orientés vers le secteur privé, mais ceux-ci ne sont actuellement pas mis en pratique : l’article D.V.19 du CoDT permet l’octroi d’une subvention d’un euro à une ou plusieurs personnes physiques ou morales de droit privé qui investissent trois euros dans des actes et travaux concernant un ou plusieurs biens immobiliers repris dans le périmètre d’un SAR, dont au minimum deux euros consistent en l’aménagement ou la réalisation de logements. Cette aide apparentée au mécanisme de la revitalisation urbaine aurait un effet incitatif aux yeux de plusieurs acteurs rencontrés. Cependant, aucun budget n’est actuellement prévu en la matière en raison notamment des strictes limitations imposées aux aides d’Etat au sein de l’Union européenne. Dans un souci d’efficacité et d’efficience, cette aide pourrait être plus ciblée vers des projets situés dans des zones moyennement ou peu attractives.

Un autre mécanisme activable prévu dans le CoDT est la prise en charge, à concurrence d’un maximum de 5 % par an, pendant 5 ans, des intérêts d’un emprunt d’un montant maximum de 500 000 € contracté en vue de réaliser les actes et travaux. A ce jour, ce mécanisme n’est pas non plus financé. La remontée des taux d’intérêt pourrait augmenter son attractivité.

Enfin, la méthodologie de sélection des projets candidats aux financements dans le cas des crédits alternatifs est le système d’appel à projet. Celui-ci est inégalement accessible aux divers opérateurs en raison du manque de ressources humaines disponibles pour certains d’entre eux. En effet, nombre de communes de petite ou moyenne taille sont mal outillées (ressources économiques, ressources humaines, compétences…) pour répondre efficacement à ces appels à projet. Des organismes d’accompagnement peuvent jouer un rôle facilitant dans ce contexte.

D’autres pistes de financement existent : les montages publics/privés pourraient être encouragés. Par ailleurs, certains opérateurs bénéficient d’une plus-value foncière très importante suite à la réalisation des travaux sur les terrains. La recherche de procédures permettant une récupération partielle par exemple, par les pouvoirs publics, de cette plus-value foncière pourrait être développée. Ces indications ne sont pas exhaustives. Il faut néanmoins préciser que la recherche de subventions, ainsi que la constitution de dossiers d’éligibilité peuvent être très chronophages.

 

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¹ Distinction entre SAR « de fait » et SAR « de droit » : tout site d’une ancienne activité à l’abandon et répondant à la définition du CoDT peut être considéré comme SAR « de fait ». Un inventaire des SAR « de fait » est réalisé par la Direction de l’Aménagement Opérationnel et de la Ville (DAOV) du SPW – Territoire Logement Patrimoine énergie (TLPE). Le SAR « de droit », quant à lui, est un site qui fait l’objet d’un arrêté de reconnaissance d’un périmètre opérationnel officiel. Dans certains cas, cette reconnaissance d’un SAR « de droit » permet d’obtenir des financements régionaux pour leur acquisition ou réaménagement (IWEPS, Sites à réaménager, 2021).

² La SPAQUE est un opérateur multitâche spécialisé dans l’assainissement des sols pollués.

³ Consulter la recherche “Réhabilitation des friches

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